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Pour ou contre le patriarcat ?

Parfois, à la manière d’un vieux chien endormi, le patriarcat chancelant est pris d’un sursaut soudain. Il se réveille alors, se dresse sur ses papattes tremblantes et s’en va fouiller, de sa truffe humide et froide, les décombres (relatives) de son règne finissant. 

“Qu’est-ce que je pourrais bien faire ?” se lamente t-il, tout perturbé. C’est que, ces dernières années, sa marge de manœuvre s’est considérablement réduite. C’est alors qu’une idée de génie lui vient : et s’il allait emmerder les femmes à propos de leurs tenues ? C’est novateur, c’est inédit, et puis ça leur apprendra à réclamer l’égalité, tiens. Le voilà qui commande alors un sondage à l’IFOP sur (je cite) “L’autorisation du port des divers types de vêtements féminins pour les filles dans les lycées publics”.

C’est vrai, ça ! On n’en parle pas assez. Et puis, c’est un sujet de la plus haute importance, surtout en pleine pandémie mondiale. Et le voilà donc qui s’enquiert de l’avis de la population sur des thématiques aussi essentielles que le port du crop-top ou l’absence du port du soutien-gorge chez les lycéennes françaises. A ce moment-là, on a bien envie de lui dire de se mêler de ce qu’il y a dans son slip.  

Car, en somme, le voilà qui remet sur la table un débat qu’on espérait périmé depuis la fin des années 50 : acceptez-vous que les femmes soient libres de leur corps, oui ou non ? 

Viles tentatrices

Imaginerait-on la publication d’un sondage demandant aux Français-es s’ils ou elles autorisent le port du short court et moulant pour les garçons ? Ou s’ils ou elles acceptent que les hommes se meuvent dans l’espace public avec un paquet apparent ? 

La question est rhétorique, bien sûr : cela ne s’est jamais vu, pour la simple et bonne raison que l’autonomie corporelle des hommes est un dû. En tant que telle, elle ne peut être remise en cause. Les hommes peuvent se balader torse nu dans la rue sans que cela n’offense personne ; ils peuvent porter des micro-shorts, avoir les tétons qui pointent, ou exhiber fièrement un renflement évocateur au niveau de l’entrejambe. 

Le genre de sondage que vous ne verrez jamais

Les femmes, en revanche ? Leur corps est scruté, soumis à autorisations diverses, érotisé même quand il ne devrait pas l’être, systématiquement soupçonné des intentions les plus viles. 

Si une jeune fille porte un crop top, ce n’est pas simplement qu’elle veut porter un crop top : c’est qu’elle a bien l’intention de séduire tous les hommes faibles et désespérés qu’elle croisera sur son chemin, eux qui n’attendent que le passage d’une vicieuse séductrice pour sombrer dans l’abîme. 

On peut s’interroger sur cette nécessité perpétuelle de devoir brider la liberté des femmes, dans ce qu’elles ont de plus intime (leur corps). Mais après tout, nous connaissons déjà les réponses. Ce sont les mêmes qui sous-tendent  l’interdiction de l’IVG, l’interdiction de la contraception ou encore l’interdiction de pratiquer certains sports. Le but reste identique : assujettir les femmes, en les touchant dans leur chair, et en les réprimant dans leur autonomie de décision.

Mais on peut aussi et surtout s’interroger sur notre propension à sexualiser de (très) jeunes filles, et à imputer nos pensées corrompues à des gamines qui veulent juste vivre en paix, dans une stratégie bien peu subtile de renversement de la culpabilité. Le saviez-vous ? Un.e adulte n’a pas à plaquer l’érotisme de son regard sur des adolescentes. On sait que la France a une longue tradition de connivence avec la pédophilie, mais enfin, tout de même. Le problème n’est pas la tenue, quelle que soit la longueur du mini-short invoqué ou l’ampleur des tétons pointant au travers du tee-shirt, et quel que soit l’âge de la femme qui les porte. Le problème, c’est le regard que l’on pose sur ces tenues. 

Autrement dit, ce ne sont pas les tenues portées qui sont incorrectes : c’est notre vision qui est inappropriée. 

*

Lorsque j’avais 15 ans, à la veille des vacances de Noël, ma meilleure amie et moi avions souhaité nous rendre au lycée déguisées en Mère Noël : notre déguisement était simplement constitué d’un bonnet rouge, et d’une jupe courte assortie. Son père, qui avait eu vent de notre “projet”, nous avait alors mises en garde : nous risquions d’attirer sur nous des regards inappropriés, de nous faire draguer, et pire encore, d’envoyer le message que nous “cherchions” quelque chose (quoi ? je l’ignore). Il semblait réellement inquiet à l’idée que nous puissions renvoyer une image qui “échapperait” à notre contrôle.  

Pourtant, nous avions 15 ans, et nous n’avions pas d’autres intentions que celle de porter une mini-jupe (ce que nous avons finalement fait, sans écouter le papa réac). Cette anecdote, banale, m’est restée en mémoire, sans doute parce qu’elle est symptomatique du regard problématique que la société pose sur les adolescentes, puis les femmes, qui sont sexualisées à leur insu en s’entendant dire que ce sont elles, les fauteuses de trouble. 

La figure de la vile tentatrice ne date pas d’hier – et, malheureusement, elle ne semble pas prêt de s’éteindre. Elle a été fomentée par les religions monothéistes, qui ont fait des femmes le danger suprême, et la justification ultime à tous les mauvais comportements des hommes. 

Il en est resté la nécessité pour les femmes de ne pas exposer les parties de leur corps considérées comme “immodestes”, et d’endosser la responsabilité des méfaits des hommes, concept qu’on a plus tard théorisé sous l’appellation “culture du viol” (“elle a été violée par Untel ? c’est normal, on voyait ses jambes” ou encore “son frère est un agresseur sexuel ? c’est donc elle qu’on va harceler”). 

S’il est soumis à la honte, le corps des femmes est dans le même temps exploité jusqu’à la moindre parcelle de chair pour faire vendre, et fantasmer. Combien de sombres réacs s’indignent-ils le matin des tenues des lycéennes qui auraient vocation à les déconcentrer, pour consommer le soir même du porno dans lequel des femmes souvent mineures sont réduites à de vulgaires objets sexuels ? 

Nous n’avons aucun problème à foutre des femmes à poil partout, qu’il s’agisse de vendre des pneus neige ou des tondeuses pour poils de nez, mais il convient de s’offusquer à grands cris dès lors que les femmes en question décident de ce qu’elles veulent porter (ou ne pas porter). 

Cette hypocrisie nauséabonde ne trahirait-elle pas tout simplement une évidente volonté de contrôle des hommes sur les femmes ? Et ne serait-il pas temps, en 2020, de la trouver indigne de notre époque supposément éclairée ? 

Pour ou contre ? 

La France étant le pays des droits de l’homme mais toujours pas celui des droits de la femme, on attend avec impatience la publication des sondages suivants : 

“Pour ou contre le viol ?”, “Personnellement, autoriseriez-vous le droit de vote des femmes ?” ou encore “Êtes-vous pour ou contre les féminicides ?” 

Même si, à dire vrai, j’attends surtout le jour où l’IFOP demandera aux femmes ce qu’elles pensent du fait que le patriarcat s’immisce jusque dans leur soutif… 

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Quel est le problème avec l’âge des femmes ?

COLLAGE

L’âge chez un homme est considéré comme un gage d’expérience ; chez une femme, il est une faute de goût.

 

Avez-vous regardé « Objectif 10 ans de moins », diffusée sur M6, une nouvelle émission qui se propose de rajeunir de dix ans (rien que ça) des femmes qui « font plus que leur âge » ?

Soins dentaires, injections, rééquilibrage alimentaire, maquillage, coiffure, relooking vestimentaire… Tous les moyens sont bons pour les aider à paraître plus jeunes, Graal absolu d’une société qui n’admet l’existence des femmes que si celles-ci sont jeunes et désirables, ou du moins tentent de le rester.

Au début de l’émission, les candidates se présentent devant un panel d’inconnu.es, lesquel.les ont la lourde tâche de déterminer leur âge en fonction de l’apparence qu’elles arborent. Bien évidemment, le panel leur donne à chaque fois 10 voire 15 ans de plus que leur âge réel (sinon c’est pas drôle), et les commentaires vont bon train sur leur physique « négligé », leur peau « relâchée », leur apparence « fatiguée ». Derrière sa télé, on s’interroge : ces candidates livrées en pâture au regard d’autrui ont-elles vraiment un problème avec l’inadéquation supposée entre leur âge et leur apparence, ou bien subissent-elles avant tout le regard inquisiteur que pose la société sur elles ? Quoi qu’il en soit, l’humiliation du procédé est réelle.

Face à une femme dont les cheveux commencent à grisonner, un homme s’exclame : « Ses cheveux blancs, je trouve que ça fait négligé ! » Le fait qu’il ait lui-même les cheveux gris ne semble pas lui venir à l’esprit.

C’est que le patriarcat confère d’invisibles privilèges, dont celui de reprocher à une femme un trait physique qu’on arbore soi-même.

*

Le vieillissement est inéluctable et universel : c’est l’une des seules certitudes inhérentes à la vie humaine. Pourtant, la société voudrait nous faire croire qu’il ne concerne que les femmes.

Celles-ci seraient les seules à voir leur peau se relâcher, leurs cheveux blanchir, leurs rides se creuser, leur apparence se modifier, et leur désirabilité décliner en conséquence – puisque seule la jeunesse est désirable.

Ces signes de vieillissement seraient entachés d’une connotation négative, et c’est pourquoi elles devraient lutter contre, voire en concevoir un rejet violent (les pratiques comme la chirurgie esthétique en étant l’émanation suprême).

Au-delà des modifications de l’apparence, le fait de prendre de l’âge serait un problème de femmes. Pour elles, vieillir serait une disgrâce ; un objet de honte et d’inconfort. Le vieillissement ne serait pas seulement un fait biologique, mais aussi un coup d’arrêt – la fin d’un règne, la fin des possibles, l’extinction de l’identité sociale. C’est pourquoi les « vieilles » sont incitées à se retirer du monde, comme des invitées devenues soudain indésirables.

Les femmes vieillissent mal ! Les cheveux blancs ne sont pas esthétiques ! Le corps des femmes de 50 ans n’est pas extraordinaire du tout ! (on se souvient de la sortie de Yann Moix) Il faut arrêter de montrer ses jambes à partir d’un certain âge ! On ne demande pas son âge à une femme !

Et les hommes, dans tout ça ? Eh bien, de la même manière qu’ils n’ont pas de corps, les hommes n’ont pas d’âge. Ils sont d’ailleurs absents de l’émission susmentionnée, à l’exception de quelques « jurés » chargés d’estimer l’âge des candidates…

Par conséquent, personne ne leur reprochera de ne pas « s’entretenir », ni de continuer à présenter des émissions de télé alors qu’ils ont largement passé l’âge de la retraite,

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Je ne vise PERSONNE.

ni de s’afficher avec des poches sous les yeux et des rides sur le front, ni de porter des marcels exhibant leur ventre mou et leurs bras lâches, ni de choisir des compagnes de 25 ans lorsque eux-mêmes en ont 55, ni enfin de devenir père à 70 ans bien tassés, comme Mick Jagger ou Gérard Darmon (imaginez, si cela était biologiquement possible, les réactions envers une femme enceinte du même âge ?).

A côté, les femmes vivent dans la peur de prendre de l’âge – et cette peur commence ridiculement tôt. Elles ont intégré que plus elles vieillissent et moins elles sont convoitables, voire dignes d’intérêt, la menace de l’invisibilité planant au-dessus de leur tête comme un oiseau de malheur.
De tous temps, les hommes se sont appliqués à expliquer aux femmes à quel point le vieillissement leur allait mal – contrairement à eux qui, Dieu soit loué, sont universellement préservés des effets cruels du temps – et à quel point elles perdaient en intérêt au fil des ans.

Qui n’a jamais étudié, à l’école, le fameux poème de Pierre de Ronsard ?

[…]
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera tenir votre beauté.

 

Une si précieuse jeunesse

La jeunesse féminine est donc exaltée, notamment parce qu’elle est synonyme de vulnérabilité – et donc de possibilités accrues, pour les hommes, d’asseoir leur domination.

« Une fille très jeune est plutôt gentille, même si elle devient très très vite hystérique et aussi folle que quand elle sera plus âgée » se désolait l’écrivain Gabriel Matzneff, dont on connaît désormais les « penchants » pédocriminels.

« J’aime les filles jusqu’à 17-18 ans. Après, je commence à me méfier » déplorait quant à lui Claude François. […] Après 18 ans, je me méfie parce que les filles commencent à réfléchir, elles ne sont plus naturelles. »

Elles commencent à réfléchir (quelle horreur !) : tout, en réalité, est contenu dans cette phrase. L’assurance, la connaissance de soi que l’expérience permet : voilà qui déplaît tant aux mâles (qui se veulent) dominateurs. Lorsque l’autre s’affirme, ils ne sont plus rien.

*

Une étude américaine sur la séduction en ligne a montré que si les hommes gagnent en attractivité avec l’âge (leur apogée se situant aux alentours de 50 ans), les femmes atteignent le paroxysme de leur attractivité à l’âge de 18 ans... avant que celle-ci ne décline année après année. D’ailleurs, les hommes âgés entre 22 et 30 ans recherchent presque exclusivement des femmes plus jeunes qu’eux sur les sites de rencontre, selon une autre enquête menée par le site OKCupid.

Flippant ? Oui, mais guère étonnant dans une société où les modèles culturels représentent presque exclusivement des couples composés d’un homme plus âgé et d’une femme plus jeune, et où la jeunesse des femmes a été érigée comme une condition de leur désirabilité – et leur désirabilité, comme une fonction sociale.

Ainsi, la vie des femmes semble se dérouler selon une temporalité toute spécifique, qui se découpe par paliers : la jeunesse (de 0 à 25 ans), la semi-jeunesse un peu bâtarde (de 25 à 35 ans), l’âge mur (35-45 ans), puis la vieillesse (de 45 ans à la mort, en gros). Ce qui fait beaucoup de temps passé à être vieille, vous en conviendrez.

Alors, les femmes sont constamment incitées à se dépêcher ; à inscrire leurs actions dans le cadre d’une fenêtre temporelle stricte (particulièrement lorsque cela concerne la sphère domestique : trouver un partenaire stable, se marier, avoir des enfants…) ; à surveiller leur âge comme si celui-ci risquait de leur échapper. Parce que « l’horloge biologique » tourne, parce que les hommes intéressants partent trop vite, parce qu’elles seront ensuite trop vieilles pour ceci ou cela, elles regardent les aiguilles tourner avec angoisse, pressées comme des citrons par une société qui exècre leur indépendance d’esprit et de corps.

Ironie suprême : les femmes ont beau avoir une espérance de vie supérieure à celle des hommes, on ne cesse de leur faire croire qu’elles ont moins de temps devant elles.

Un paradoxe que l’on retrouve dans l’existence des sheng nu (littéralement « celles qui restent », ou « celles dont on ne veut plus »), ces femmes célibataires que la société chinoise méprise parce qu’elles ont échoué à se marier dans un temps imparti. Le terme – sans équivalent masculin ! – est d’ailleurs officiellement inscrit dans le lexique du gouvernement, et défini comme « toute femme célibataire de plus de 27 ans » (sic).

Si, en France, cette aberration n’est évidemment pas institutionnalisée, la stigmatisation du célibat féminin – surtout à partir d’un certain âge – est une réalité partagée.

 

Les Invisibles : quand les femmes disparaissent

Une fois la jeunesse passée, point de salut ?

Dans de nombreuses industries, en tout cas, l’invisibilisation des femmes de plus de 50 ans demeure quasi-systématique. Exemple classique : les médias, et plus particulièrement la télévision. Où sont en effet les équivalents féminins de Michel Drucker, Jean-Pierre Pernaut, Jean-Jacques Bourdin ? (j’aurais pu citer Claire Chazal, si elle ne s’était pas fait évincer par TF1 à l’âge canonique de 58 ans…) Cantonnées à la météo ou condamnées à jouer les chroniqueuses, les femmes dites « mûres » se font discrètes sur le petit écran.

La réalité n’est-elle pas qu’on les écarte de la scène parce qu’elles portent moins bien la jupe pailletée et le décolleté plongeant qu’une femme de 30 ans ? Parce que le désir qu’elles provoquent est la raison première de leur présence à l’écran, avant même leurs compétences de journaliste et/ou présentatrice ? Parce que les décideurs des chaînes de télévision sont des hommes (de plus de… 50 ans), qui procèdent avant tout en fonction de leurs fantasmes ?

Au cinéma, la situation est encore plus critique. Les jeunes actrices sont fétichisées, portées aux nues entre 20 et 25 ans, avant de laisser la place à leurs plus jeunes sœurs. Le cimetière du cinéma est plein de ces jeunes espoirs féminins ayant trop tôt disparu, abruptement remplacées par de nouvelles sensations plus jeunes, plus lisses et plus aptes à flatter l’implacable regard masculin.

Quant aux femmes plus âgées, elles se font rares sur le grand écran. Sur l’ensemble des films français de 2015, seuls 8 % des rôles ont été attribués à des comédiennes de plus de 50 ans. En 2016, c’était 6 %.

 

MAXI
Un magazine pour les femmes de 50 ans et plus, incarné par des mannequins moitié moins âgées

 

Inculquer la peur de l’âge

La presse féminine inculque aux femmes qui la lisent deux grandes peurs : celle de grossir, et celle de vieillir. Pour cela, elle utilise deux principaux marronniers : le numéro spécial régime, et le numéro spécial anti-âge.

Ce dernier distille ses conseils – d’un ton à la fois docte et compassionnel – aux apprenties vieilles peaux, les incitant à corriger leur ovale (relâché), à muscler leurs bras (désagréablement fripés), à dépenser l’argent qu’elles n’ont pas dans des injections (qui les feront ressembler à des cyborgs, mais là n’est pas la question), à tester la cryolipolyse pour réduire leurs bourrelets, à colorer leurs cheveux blancs et à troquer la mini-jupe pour un accoutrement plus adapté à leur nouvelle condition de femme dite « mûre ».

Ce qui n’empêchera pas ces mêmes magazines de publier, une semaine plus tard, un article pour les enjoindre à se libérer de leurs complexes. Injonctions contradictoires, vous avez dit ?

En 2015, le marché de « l’anti-âge » était estimé à 291 milliards de dollars, dont 5 milliards pour la seule médecine esthétique. Aujourd’hui, signe d’un évident malaise dans la société, ce sont les moins de 35 ans qui ont le plus recours aux injections.

C’est que la peur du vieillissement est inculquée très tôt aux femmes, dès qu’elles ont, en réalité, suffisamment de pouvoir d’achat pour acquérir les produits proposés par l’industrie cosmétique. Une étude sur le rapport des femmes à la beauté menée en 2014 a ainsi montré que 4 femmes sur 10 déclarent avoir peur de vieillir. Et seules 23% d’entre elles déclarent se sentir belles régulièrement (27% des 18-24 ans, pour seulement 11% des 65 ans et plus).

Plus les femmes prennent de l’âge, plus le rapport qu’elles entretiennent avec leur apparence se complique. Rien d’étonnant, alors, à ce que de plus en plus de jeunes femmes décident d’anticiper ce qu’on leur présente comme les « effets pervers du temps », et de passer sur le billard le plus tôt possible.

Les effets de cette course (perdue) contre le temps sont particulièrement visibles à Hollywood, où les actrices affichent des visages figés, ruinés par le Botox, victimes d’une infernale pression qui leur interdit de vieillir.

 

Reprendre le pouvoir

Ce n’est donc pas une surprise si les femmes ont intériorisé le caractère supposément ingrat de la non-jeunesse. Nombre d’entre elles sont passées maîtres dans l’art de blaguer sur leur âge, même quand celui-ci n’a rien d’avancé (« à mon grand âge », « je sais bien que je ne suis plus comestible, mais… », « quand j’étais jeune, au temps des dinosaures… ). Manière de désamorcer ce qu’elles perçoivent comme une bombe potentielle, ou volonté de s’excuser d’exister dans une société qui porte aux nues la jeunesse féminine ?

D’autres encore font mine de s’offusquer qu’on veuille connaître leur date de naissance, en vertu d’une règle ancestrale – pourtant empreinte de sexisme – selon laquelle on ne demande pas son âge à une femme. Pensant agir par coquetterie, elles renforcent ainsi le tabou existant.

En France, une femme majeure sur deux a plus de 50 ans. Voulons-nous vraiment leur faire croire qu’elles constituent une minorité ? Voulons-nous vraiment leur dire qu’elles devraient avoir honte ?

A force de louvoyer, de cacher notre âge ou de le tourner en dérision, mais aussi de vouloir absolument paraître « plus jeune », nous faisons de l’âge un critère non seulement de désirabilité, mais aussi de légitimité sociale. Nous renforçons le jeunisme ambiant, particulièrement dévastateur pour les femmes. Nous jetons le discrédit sur nous-mêmes, invisibilisant nos propres existences, comme si la société ne s’en chargeait déjà pas toute seule.

J’ai rarement vu des hommes s’excuser de leur âge ou en concevoir de l’embarras. Preuve que ce qui est en jeu relève avant tout d’une construction sociale…

Alors, c’est vrai, la société patriarcale ne semble pas prête à abandonner ses fantasmes de jeunesse féminine – ne serait-ce que parce qu’ils sont un vecteur de soumission très efficace. Mais la façon dont nous y réagissons a son importance.

L’arbitraire des diktats sexistes n’engage que celles et ceux qui y croient. Et l’âge n’est un obstacle – au désir, au bonheur, aux possibles, à la beauté – que si nous décidons qu’il l’est.

Commençons donc par arrêter de blaguer sur notre âge, ou d’en éprouver de la honte. Cessons aussi de nourrir cette industrie dévorante qu’est le marché de « l’anti-âge », qui sous couvert d’innovations ne cesse d’accoucher de produits aussi inutiles que toxiques pour l’estime de soi. 

Rappelons-nous enfin qu’avoir 59 ans (ou 47, ou 78, ou 92) n’est ni drôle ni honteux : c’est juste un fait.

L’amour (et les femmes) au temps du numérique

L’amour (et les femmes) au temps du numérique

 

A qui profite aujourd’hui la liberté sexuelle ? Le féminisme est-il compatible avec les applications de rencontre ? Le sexe sans attaches est-il réellement vecteur d’émancipation pour les femmes ?

Autant d’épineuses questions qu’il convient aujourd’hui de se poser… Car les nouvelles du front ne sont pas bonnes.

Aux États-Unis, la psychologue spécialisée en sciences comportementales Clarissa Silva a sondé 500 utilisatrices et utilisateurs d’applications de rencontre. Après 9 mois d’utilisation, 65% d’entre eux assimilaient la fréquentation de ces sites à un travail à plein temps – avec le côté rébarbatif qui va avec.

Une étude parue en 2019 dans le Journal of Social and Personal Relationships rapporte quant à elle que l’utilisation compulsive d’applications de rencontres est susceptible de mener à un sentiment de solitude accru.

Enfin, de nombreuses personnes – notamment des femmes – se plaignent de plus en plus de ces nouveaux schémas amoureux caractérisés par une prétendue « légèreté ». Un ressenti corroboré par la science, plusieurs études ayant mis en évidence un lien entre sexe sans attaches et anxiété et dépression (aussi bien chez les femmes que chez les hommes).

Une lassitude collective que les Anglo-saxons nomment « dating burnout », et qui survient souvent après de longs mois à écumer les sites de rencontre (ou les bars), entretenir des centaines de conversations virtuelles et multiplier les rendez-vous sans intérêt. Un utilisateur de Tinder témoignait de cet accablement dans le magazine Causette :

« J’étais constamment occupé par des relations qui n’avaient pas de sens, ni de chance de devenir autre chose que ce qu’elles étaient puisque j’étais déjà en tranches, morcelé, divisé à l’intérieur. Au bout d’un mois et demi, je ne dormais presque plus. J’ai eu de l’eczéma sur le sexe. J’étais en contradiction avec moi-même […] je somatisais »

« Je me suis inscrite une fois sur un site de rencontre, j’ai tenu 48h avant de tout quitter », déplore une jeune femme. « Les mecs qui sont soudainement fous amoureux de toi, ceux qui te balancent des remarques sexistes, ceux qui te complimentent puis t’insultent deux secondes après que tu leur aies dit non, etc… Je n’y arrive pas »

« C’est impossible d’avoir une relation stable. Tout ça, c’est la faute de Tinder ! » renchérit une autre.

Si cette lassitude est susceptible de concerner aussi bien les hommes que les femmes, ces dernières sont peut-être plus vulnérables sur le marché de l’amour virtuel, et les comportements qu’il engendre.

 

Nouveaux déboires amoureux

C’est un fait : le paysage romantico-sexuel a changé. Fini l’époque où l’on se mariait à peine sorti.e de l’école, et où l’on passait sa vie avec la même personne (et c’est indéniablement une bonne chose). Désormais, nous avons le choix : d’être en couple ou non, de la (ou les) personne(s) avec qui l’on partagera sa vie, des modalités de cette union, et du temps qu’elle durera. Bien sûr, je vous fais la version courte et simplifiée – dans les faits, le célibat reste très mal vu, particulièrement pour les femmes, tout comme le fait de ne pas avoir l’intention de se reproduire. 

Le couple reste donc la norme dans une société paradoxalement de plus en plus souple et ouverte, et dans laquelle émerge de nouveaux schémas.

 

Fait intéressant, ce nouveau paradigme amoureux caractérisé par le virtuel, la multiplicité des rencontres et la réticence à s’engager, est également livré avec son propre langage (riche en termes anglophones).

Ainsi, après vous être fait ghostée (1) par un fuckboy (2), peut-être aurez-vous la (mal)chance de voir un obscur ex revenir faire de l’orbiting (3). Qu’à cela ne tienne, vous continuez à swiper sur Tinder dans l’espoir de rencontrer l’amour. Mais vous tombez malheureusement sur un homme qui, après une relation faite de pocketing (4), disparaît en mode slow fade (5)pour mieux revenir un an après comme si de rien n’était, en bon prowler (6) qu’il est.

Vous n’avez rien compris ? Ce jargon vous semble aussi excitant qu’une notice technique pour chauffe-eau ? C’est normal : ce lexique « amoureux » est aussi aride que les pratiques qu’il décrit. Pourtant, il semblerait bien que les relations dépourvues de sens – et surtout d’avenir – soient en train de devenir la norme, particulièrement dans les grands centres urbains.

Bien sûr, les mecs toxiques, les téléphones qui ne sonnent pas et les relations sans lendemain n’ont pas attendu l’essor du numérique pour exister. Mais nul doute que Tinder et la prétendue « liberté sexuelle » qu’il porte en étendard facilitent leur propagation

*

Personnellement, je n’ai jamais pu « tenir » plus de quelques semaines sur une application de rencontre. Qu’y a t-il de plus déprimant en effet que de faire défiler d’un geste mécanique des profils de mecs en slip devant leur miroir, dans une conscience aiguë de sa propre solitude, sans même la certitude que ce manège débouchera sur une rencontre intéressante ?

Ces espaces virtuels et froids nous transforment en Sisyphe modernes, poussant notre rocher en haut de la montagne dans l’espoir inavoué d’y trouver un trésor. Mais la nuit tombe bien assez vite, il n’y a rien au sommet et l’on recommence alors… Encore et encore.

Après les énièmes profils de l’étudiant à HEC qui n’est pas là pour se prendre la tête, du mec qui pose noyé dans sa bande d’amis (qui est qui ?) ou au bras d’une charmante demoiselle (qu’est-on censée en déduire ?), du cœur tendre posant avec son chat/son neveu/sa guitare en pensant que cela va le transformer en piège à filles, du fuckboy livré avec option fautes d’orthographe et du baroudeur posant négligemment devant le Macchu Pichu (est-ce que tout le monde part en vacances au Pérou désormais ?!), j’ai fini par ressentir cette désagréable sensation qu’on éprouve après avoir trop mangé. Trop de choix, trop de possibilités, et pourtant aucune ne me faisait envie. Pire encore : toutes me repoussaient.

 

La hook-up culture, ou la fausse liberté des femmes

Hook-up culture est une expression qui nous vient des États-Unis, et qui signifie en bon français culture du coup d’un soir. C’est une culture qui encourage les relations sexuelles sans attachement ni connexion émotionnelle – et sans lendemain, cela va sans dire. Aux États-Unis, elle est particulièrement utilisée pour décrire la sexualité des étudiant.es sur les campus universitaires. Mais elle peut être étendue à d’autres contextes.

Démocratisé par les applications de rencontre, le casual sex (ou relations sans lendemain) s’impose désormais comme la norme. On ne se met plus en couple avant de coucher : on couche ensemble avant de se mettre en couple. Même le fait de présenter quelqu’un à ses ami-es n’est plus une preuve d’engagement. 

Entre le sexe sans attaches et la relation conjugale trône désormais un nouvel hybride relationnel, sans nom ni définition officielle, qui consiste à « voir quelqu’un ». Sortir ensemble, sans être en couple. Se voir, sans savoir où l’on va. Partager le lit de l’autre, tout en étant tenu.e à l’écart de ses pensées.

Si ces pratiques permettent une plus grande flexibilité, elles engendrent aussi beaucoup d’incertitude et de difficultés à choisir… et donc à s’engager.

L’amour reste paradoxalement une valeur sûre, un idéal indétrônable. Pour plus de 50% des Français-e-s entre 15 et 34 ans, les relations amoureuses sont « importantes » (et même « primordiales » pour 25% d’entre eux et elles). Néanmoins, le paradigme amoureux a changé, et la nouvelle norme repose sur un équilibre instable qui peut générer beaucoup d’inconfort.

(Notamment au niveau des parties génitales : en moins de 4 ans, les infections sexuellement transmissibles ont en effet explosé en France. En 2016, selon une enquête de Santé Publique France, près de 268 000 cas de chlamydia ont été diagnostiqués chez les plus de 15 ans, contre 77 000 en 2012). 

 

EUGENIALLOLI

 

Mais venons-en à la question qui nous intéresse : en quoi ces nouveaux comportements sont-ils particulièrement délétères pour les femmes ?

Tout d’abord, le modèle standard de relations (amoureuses et/ou sexuelles) sans engagement va à l’encontre de la façon dont les femmes sont socialisées. Celles-ci grandissent en effet – et sont ensuite pressurisées par la société – avec l’idée qu’elles doivent trouver l’amour, le grand chevalier blanc. Elles sont éduquées à surinvestir la sphère amoureuse, leur identité sociale y étant étroitement liée

Or, la connexion véritable à laquelle nombre d’entre elles aspirent est peu compatible avec la logique consumériste actuelle.

Et puisque la sexualité féminine n’a toujours pas fait son entière révolution, les femmes se retrouvent désormais au cœur d’un immense paradoxe. Incitées à laisser libre cours à leurs désirs et à profiter d’une liberté sexuelle censée être à leur avantage, elles sont pourtant punies lorsqu’elles abusent de cette liberté – ou le font sans la discrétion qu’on attend d’elles. Entre la « fille facile » et la femme libérée, pas si facile de trouver une place…

Les hommes, en revanche, bénéficient de ce modèle. Non seulement leur sexualité n’est frappée d’aucun interdit moral, mais ils sont en plus bombardés d’injonctions à l’indépendance émotionnelle, l’autonomie et la séduction (hétérosexuelle). Il faut coucher avec des femmes en grande quantité pour être un homme : c’est en effet dans l’accumulation de partenaires que se joue la masculinité contemporaine. Cette logique de performance virile répond parfaitement à ce nouveau schéma amoureux qui place la consommation en son centre. 

De fait, la culture du hook-up rejoint la façon dont la majorité des garçons sont socialisés : vision utilitaire du sexe comme outil de performance, consommation et objectification des femmes, qui ne sont plus des individus spécifiques mais des corps indéterminés, nécessité de cumuler les « conquêtes » non pas pour le plaisir, mais pour prouver sa virilité. Ce qui n’est pas la meilleure façon de rencontrer l’autre ni de bâtir des relations saines, vous en conviendrez…

Bien sûr, de nombreuses femmes trouvent aussi leur compte dans ce modèle qui leur laisse une grande liberté. Mais lorsqu’elles cherchent quelque chose de plus consistant, elles se heurtent à la surreprésentation statistique des hommes désireux de ne pas se prendre la tête (nom de code pour : partager un lit, et rien d’autre). Soucieuses de ne pas faire peur à leurs prétendants potentiels, elles taisent alors leurs véritables désirs et besoins. Quitte à se retrouver embarquées dans des relations dont elles n’ont pas défini les termes, et qui ne leur conviennent pas.

Par ailleurs, les relations sans attaches semblent peu propices au plaisir des femmes. Une étude américaine d’envergure a ainsi montré que 55% des hommes avaient reçu du sexe oral lors de leur dernière relation sexuelle (sans engagement), contre seulement 19% des femmes. Et 80% des hommes avaient eu un orgasme lors de leur dernière relation sexuelle, contre 40% des femmes.

Quand tant d’hommes ignorent tout des spécificités du sexe féminin – et notamment du clitoris – peut-on vraiment s’attendre à ce qu’un amant de passage, possiblement biberonné au porno et possiblement plus intéressé par son plaisir que par le nôtre, nous envoie au septième ciel ? Ou même qu’il en ait simplement l’intention ?

Le bon sexe étant celui qui prend le temps de découvrir le corps de l’autre, dans le respect de son consentement, on peut légitimement s’interroger sur les vertus des rencontres éclairs…

D’autre part, la démocratisation du porno et des pratiques autrefois « atypiques » comme le BDSM ou la sodomie amènent de nouvelles exigences dans la chambre à coucher. Comme l’a plusieurs fois souligné l’autrice Maïa Mazaurette, ces pratiques présentées comme cool, voire émancipatrices sont souvent douloureuses voire violentes pour les femmes, qui peuvent pourtant ressentir une certaine pression à y consentir (personne n’a envie de passer pour un.e coincé.e en matière de sexe).

Enfin, on peut déplorer que la liberté sexuelle, qui se targue d’être un vecteur d’émancipation des corps, ait paradoxalement fini par se transformer en une énième injonction – à prendre son pied, à explorer, à s’amuser (selon une conception universelle de l’amusement qui en laisse beaucoup sur le carreau).

Je me suis longtemps sentie anormale de ne pas avoir envie de m’éclater avec des coups d’un soir, une activité présentée comme éminemment cool et indissociable d’une jeunesse réussie. Car la liberté sexuelle à la mode 2020 est synonyme de consommation effrénée : il ne faut pas seulement multiplier les partenaires, il faut aussi tester des choses. Rien ne serait plus triste que de rester coincé.e dans les affres de ce qu’on appelle péjorativement le sexe « vanille », c’est à dire traditionnel, sans gaines en latex ni sex-toys à insérer dans divers orifices. Alors, pourquoi est-ce que je préfère rester chez moi avec un livre alors que je pourrais être en train de tester le bondage japonais ?

Il m’a fallu du temps avant de comprendre que l’injonction au sexe, dans un monde où l’on peut accéder aussi facilement à une relation sexuelle qu’à un menu frites-Coca, était aussi délétère que les injonctions à se « préserver ». Et que les individus ne peuvent rentrer dans le goulot étroit d’une norme sexuelle qui se veut universelle, étant donné que la sexualité est, par définition, profondément intime et subjective.

 

It’s (not) raining men

Mais attendez, ce n’est pas fini ! Un autre problème se pose. En effet, les femmes sont désormais plus diplômées que les hommes dans de nombreux pays – en France, en 2015, elles étaient majoritaires dans le supérieur (55%), et plus particulièrement aux niveaux de formation les plus élevés (59% en master). L’écrivain américain Jon Birger, auteur de l’ouvrage Date-onomics (non traduit en français), émet alors l’hypothèse que les femmes célibataires doivent désormais faire face à une « pénurie » d’hommes (plus précisément d’hommes correspondant à leurs critères, les individus ayant tendance à rechercher un.e conjoint.e du même groupe social).

« La hook-up culture, la baisse du nombre de mariages chez les femmes diplômées, et la pénurie d’hommes éduqués et désirant s’engager, sont le produit du déséquilibre des ratios hommes-femmes et d’une offre insuffisante d’hommes diplômés du supérieur« , écrit-il ainsi. On peut bien sûr déplorer le caractère partial de son analyse, ainsi que le paternalisme dont il fait preuve lorsqu’il enjoint les femmes à choisir leur lieu d’études en fonction du ratio hommes-femmes (!). Mais ne touche t-il pas là une réalité sensible ? Combien de fois ai-je entendu cette conversation sur le « déclin des hommes valables » et la « difficulté à trouver un mec bien »… ?

Sauf que, plutôt que de s’interroger uniquement sur le niveau d’études, on pourrait aussi se poser la question de l’influence du porno, des rôles de genre, des injonctions sociales et du numérique sur nos comportements amoureux… Autant d’éléments qui jouent sur l’évolution de nos pratiques. 

Cécile Guéret, journaliste, psychothérapeute et autrice du livre « Aimer, c’est prendre le risque de la surprise », explique qu’à force de « cocher des filtres selon le physique, l’appartenance sociale, les passions, à force de minimiser les risques, nous cherchons à rationaliser le coup de foudre ». Une rationalisation bien peu compatible avec l’essence même du sentiment amoureux. Alors, les algorithmes finiront-ils par avoir la peau de l’amour ? Les nouveaux schémas amoureux et sexuels sont-ils solubles dans nos aspirations romantiques – et particulièrement celles des femmes ?

Bien sûr, la fin de la morale sexuelle et la multiplication des possibles dans le champ amoureux sont des progrès qu’il n’est pas question de remettre en cause. Mais il y a peu de chances que les femmes soient les grandes gagnantes de cette « révolution » sexuelle. Et ce, pour une raison simple : celle-ci a été élaborée selon les termes des hommes, en ne laissant à l’autre moitié de l’humanité pas d’autre choix que de s’y plier. En matière d’amour 2.0, femmes et hommes ne jouent donc pas à jeu égal.

Alors, osera t-on plaider pour l’avènement d’une véritable liberté – celle de coucher avec qui on veut, mais aussi de préférer l’amour au sexe sans attaches ?

 

 

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(1) Le ghosting consiste à couper les ponts avec une personne du jour au lendemain.

(2) Fuckboy : Homme peu porté sur le romantisme et principalement intéressé par la perspective de tirer son coup – quitte à sortir les violons pour arriver à ses fins. 
(3) L’orbiting consiste à suivre activement l’activité d’une personne sur les réseaux sociaux (exemple : liker ses posts) tout en l’ignorant dans la vie réelle.
(4) Le pocketing est une forme de relation non officielle, dans laquelle les termes ne sont jamais clairement énoncés. Ça ressemble à une relation amoureuse… sans toutefois en être une, car l’autre vous empêche d’accéder à son intimité. En clair, il vous garde au chaud dans sa poche : vous êtes donc caché.e, dissimulé.e au reste du monde, en attendant mieux.
(5) Le slow fade est une manière de couper les ponts avec quelqu’un, de manière moins brutale que le ghosting. Elle consiste à disparaître lentement mais sûrement du paysage, en repoussant par exemple les rendez-vous ou en ne répondant plus qu’à un message sur deux.
(6) De l’anglais « to prowl » qui signigie rôder, le prowling consiste à disparaître du jour au lendemain (alors que la relation semblait suivre son cours normal), pour mieux revenir comme si de rien n’était quelques semaines ou mois plus tard.